

Entretien avec Julie Couturier, bâtonnière désignée du barreau de Paris, et Vincent Nioré, vice-bâtonnier désigné du barreau de Paris
Le 1er janvier 2022, Julie Couturier et Vincent Nioré deviendront respectivement bâtonnière et vice-bâtonnier de barreau de Paris. Défense du secret professionnel de l’avocat, lobbying, institutions, lutte contre les discriminations, relations avec les magistrats… : ils s’expriment sur les grands sujets de leur futur mandat.
Gazette du Palais :
Où en êtes-vous dans l’organisation de vos équipes ?
Julie Couturier :
L’organigramme sera prêt en partie au 1er janvier 2022 puisque le premier conseil, qui se réunira le 11 janvier, votera sur la composition des formations disciplinaires et des commissions de conciliation (difficultés d’exercice en collaboration et commission de l’exercice en groupe). Avec notre secrétaire du conseil, Barthélémy Lemiale, nous prenons contact avec les anciens et les nouveaux élus, ainsi qu’avec les anciens membres du conseil, et nous travaillons à trouver la bonne place pour chacun.
Gaz. Pal. :
Lors du passage de bâton le 1er décembre 2021, vous avez annoncé que vos axes de travail se déclineraient autour de la trilogie « Liberté, égalité, fraternité ». Concernant la liberté, le premier sujet qui s’impose à vous est celui du respect du secret professionnel de l’avocat avec le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui a été définitivement voté par le Parlement le 18 novembre 2021. Comment l’appréhendez-vous ?
J. Couturier :
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire n’est pas pleinement satisfaisante. Je suis une ardente défenseure de l’unicité du secret et le texte ouvre une brèche en matière de conseil en listant des exceptions. Malgré tout, grâce au travail de Vincent Nioré et d’autres, nous avons réussi à sauver les pouvoirs du bâtonnier en matière de contestation des perquisitions relatives à ces matières.
V. Nioré :
La loi laisse planer apparemment une présomption de culpabilité à propos des infractions de trafic d’influence, corruption, fraude fiscale et financement du terrorisme, et le blanchiment de ces infractions, les trois premières appartenant à la compétence d’attribution du parquet national financier. Nous avons craint que le bâtonnier n’ait qu’une présence passive dans ces matières sans pouvoir contester les saisies. Nous avons donc bataillé, fort de notre expérience de contestataire des perquisitions, et nous avons fait préciser dans l’article 56-1-2, qui appartient à l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, que les perquisitions et saisies ne pouvaient se faire « sans préjudice des prérogatives du bâtonnier et des droits de la personne perquisitionnée ». La personne perquisitionnée comme le bâtonnier a désormais un pouvoir de contestation, ce qui est une avancée car leurs contestations peuvent se cumuler dans l’hypothèse de perquisitions simultanées pour un débat en présence de l’avocat de la défense devant le JLD. Nous avons donc obtenu une confirmation des pouvoirs de contestation du bâtonnier mais dans une matière qui est dévalorisée qui est celle du secret du conseil, lequel est un secret au rabais parce que suspecté. Auparavant, cette dévalorisation était le fruit de la jurisprudence ; aujourd’hui, elle est le fait du législateur. Par ailleurs, le texte pose l’exigence de « preuve » de l’utilisation par l’avocat des éléments saisis à des fins délictueuses. Le JLD devient par conséquent le juge de la preuve de cette utilisation, c’est-à-dire de l’innocence ou de la culpabilité de l’avocat simplement perquisitionné. Le texte prévoit un débat sur la preuve, si bien que nous resterons donc vigilants en perquisition et nous formerons des délégués des bâtonniers à cette matière qui est une spécialité. La contestation du bâtonnier doit être vigilante et empreinte de sagacité. Il faut la professionnaliser par l’intervention de délégués AMCO rémunérés, étant rappelé que la contestation en matière de perquisitions nous permettra de sauver ce qui nous reste du secret professionnel. Nous avons bon espoir, avec le JLD, d’obtenir une protection sur le respect des principes. Nous ne renoncerons à rien et le combat sera toujours le même, il n’est pas question de baisser la garde !
Gaz. Pal. :
Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire est actuellement soumis au Conseil constitutionnel. Les avocats vont-ils déposer une contribution pour faire entendre leurs arguments ?
V. Nioré :
Oui, l’ACE a déposé une contribution, et la Conférence internationale des barreaux (CIB) est sur le point de le faire. Il y a en outre une contribution de l’ordre des avocats de Paris notamment sur le thème de l’indivisibilité du secret fondée sur la jurisprudence de la CEDH et de la CJUE pour laquelle le secret du conseil et le secret de la défense sont indivisibles et que le législateur français ne peut pas diviser. Un secret unique est bien plus fort qu’un secret divisé qui permet à l’autorité de poursuite de nourrir la prétention de vouloir régner sur la profession d’avocat.
Gaz. Pal. :
Craignez-vous que le secret professionnel de l’avocat connaisse prochainement d’autres attaques ?
V. Nioré :
Le danger qui pèse sur le secret est permanent et persistant. Par le biais d’une réinterprétation des textes, la Chancellerie souhaiterait que les avocats, en matière de déclaration de soupçon, dénoncent l’infraction primaire et non plus seulement l’infraction de blanchiment. Si les avocats sont considérés comme effectuant très peu de déclarations de soupçons, il est arrivé à deux reprises que des cabinets aient été perquisitionnés à la suite de leur déclaration de soupçon. L’une des deux perquisitions a été tenue en échec par la contestation du bâtonnier de Paris devant le JLD qui a restitué la totalité des éléments saisis sans rien verser en procédure.
Gaz. Pal. :
Toujours sur le thème de la liberté, comment allez-vous vous positionner sur les lois relatives aux états d’urgence ?
J. Couturier :
Ces dernières années, nous avons assisté à une multiplication des lois antiterroristes et sanitaires. Nous devrons faire en sorte que le provisoire ne se pérennise pas. Nous avons un vrai travail à faire en matière d’affaires publiques pour professionnaliser l’action de l’ordre, pour examiner de façon approfondie les textes qui nous sont soumis. Il y a trop de textes d’opportunité, dictés par l’actualité, qui viennent superposer les dispositifs.
Gaz. Pal. :
Comment allez-vous articuler l’action de lobbying de l’ordre avec celle du Conseil national des barreaux (CNB) ?
J. Couturier :
Je siégerai au CNB, dans un objectif constructif. Le CNB est l’institution qui représente la profession auprès des pouvoirs publics. Il n’en demeure pas moins que le barreau de Paris, qui représente près de la moitié des avocats de France et où le barreau d’affaires est concentré, a une spécificité indéniable. Le barreau de Paris doit rester un aiguillon, une force de proposition. L’idée est de trouver le juste équilibre entre la préservation de l’unité de la profession et la défense de la spécificité de notre barreau.
V. Nioré :
Il y a une souveraineté du barreau de Paris qui doit s’exprimer, une autorité et une fermeté qui doivent s’affirmer. « Prévenez le bâtonnier de Paris ! » ! La formule est plus que jamais d’actualité. L’ordre représente également la profession des avocats parisiens auprès des pouvoirs publics. Par ailleurs, j’estime que le fonctionnement du CNB doit se moderniser. Par exemple, je suis un ancien élu qui a effectué deux mandatures et qui a porté au CNB la question des perquisitions et co-rédigé le guide de la contestation des perquisitions avec David Lévy, et actuellement expert auprès de la commission Liberté et droits de l’Homme, et je n’ai pas le droit de m’exprimer en assemblée générale par exemple sur le thème du secret ! Sur ce sujet, le règlement du CNB est complètement rétrograde et porte atteinte à la liberté d’expression. Un ancien élu également expert doit pouvoir parler, s’épancher et dire à ses confrères ce qu’il a sur le cœur en ces périodes troublées pour la profession d’avocat.
Gaz. Pal :
Dans votre discours lors du passage du bâton, vous avez déclaré qu’il faudrait aligner le mandat du bâtonnier de Paris sur celui du président du CNB. Pourquoi ?
J. Couturier :
Deux ans, c’est très court, surtout avec ce système d’élection du bâtonnier suivant au milieu du mandat. Avoir un mandat de trois ans permettrait de privilégier le temps long, même s’il est difficile de reprendre son activité d’avocat ensuite. Nous ne devons pas avoir de tabou : il faut en discuter avec le conseil de l’ordre et voir ensuite si nous pouvons porter cette proposition à la Chancellerie.
Gaz. Pal. :
Deux arrêts de la cour d’appel de Paris ont annulé dernièrement des décisions du conseil de discipline relatives au cabinet Racine puis à l’avocate Sophie Vermeille. Estimez-vous que le travail de l’ordre sur la discipline doit être remis en cause ?
J. Couturier :
La lumière mise sur des affaires récentes fait penser à l’expression selon laquelle « l’on ne parle que des trains qui n’arrivent pas à l’heure » alors que, dans l’ensemble, le travail de l’ordre en matière disciplinaire fonctionne plutôt bien. Il n’y a plus d’impunité grâce au courage de certains bâtonniers en la matière. Il n’en reste pas moins que nous devons entendre la critique et corriger les dysfonctionnements. Nous avons réfléchi à des axes d’amélioration car la discipline est le cœur de l’autorégulation de la profession qui nous semble essentielle : nous souhaitons d’ailleurs mettre l’accent sur les fonctions régaliennes de l’ordre. S’agissant des poursuites disciplinaires, nous laisserons beaucoup de liberté à notre coordinatrice de l’autorité de poursuite, Clarisse Surin. Je souhaite en outre restaurer l’autorité du bâtonnier en ayant davantage recours à l’admonestation – qui n’est pas une sanction disciplinaire – pour réserver les poursuites aux dossiers qui le méritent. Concernant l’instruction, nous tenons à ce que d’anciens membres du conseil puissent être instructeurs – ce qui n’est pas, en l’état, prévu par les textes. Cela permettrait d’envoyer les membres du conseil de l’ordre en exercice, en première année de mandat, en formation de jugement. Ainsi comprendraient-ils mieux ce que la formation de jugement attend d’un rapport d’instruction pour être éclairée. Ils deviendraient ensuite de meilleurs instructeurs. Le fait de désigner à l’instruction surtout des pénalistes ayant la culture de l’instruction à charge ou à décharge est aussi de nature à améliorer la qualité des rapports d’instruction.
V. Nioré :
Ce n’est pas la première fois que la cour d’appel de Paris invalide des décisions du conseil de l’ordre ; elle est dans son rôle. Nous n’étions évidemment pas parties prenantes dans ces affaires. Cependant, dans l’une d’entre elles, il est argué de pressions de grands cabinets sur l’ordre. Ce que nous pouvons dire, c’est que rien ni personne ne nous mettra la pression ! Jamais !
Gaz. Pal. :
Pour en revenir au thème de la liberté, vous avez annoncé que la prochaine promotion de l’École de formation des barreaux serait parrainée par l’avocat Richard Malka. Pourquoi ce choix ?
J. Couturier :
C’est un beau symbole. Richard Malka incarne les valeurs républicaines et universalistes que j’ai envie de porter. C’est une voix forte, courageuse et, je crois, inspirante pour nos futurs confrères à l’heure où les discours clivent plutôt que de rassembler.
Gaz. Pal. :
Pour en venir aux questions d’égalité, quelles seront vos actions en matière de lutte contre les discriminations au sein de la profession ?
J. Couturier :
Nous souhaitons élargir le spectre. On a beaucoup parlé, ces dernières années, de ces questions sous l’angle de l’égalité femmes / hommes. Nous continuerons bien sûr mais nous souhaitons aussi lutter contre tous les types de discrimination, pas seulement celles de genre, mais aussi celles liées au handicap. Beaucoup d’avocats ont des handicaps invisibles et cela reste tabou. Un plan handicap vient d’être adopté par l’ordre. Nous souhaitons promouvoir une approche positive visant à faciliter l’inclusion au sein du barreau.
Gaz. Pal. :
Votre mandat va débuter par la présidence française de l’Union européenne (PFUE). Comment le barreau de Paris va-t-il accompagner cette période ?
J. Couturier :
La profession a proposé un certain nombre d’événements labelisés PFUE. Il y aura un événement commun au CNB, à la Conférence des bâtonniers et au barreau de Paris le 12 janvier 2022 à Strasbourg sur l’Europe qui protège contre les injustices, que j’introduirai aux côtés de Jérôme Gavaudan et de Bruno Blanquer et auquel Vincent Nioré interviendra. Le barreau de Paris organise en outre un événement le 10 février 2022, dont le but sera de promouvoir le réflexe européen auprès de nos confrères. À cette fin, il y aura des ateliers pratiques l’après-midi sur la procédure civile européenne, le parquet européen, les questions de propriété intellectuelle européennes… Ce sera aussi l’occasion pour mettre en avant notre CARPA qui est un outil de prévention de lutte contre le blanchiment. Cette journée se clôturera par une nuit européenne des legaltechs car le numérique est une des grandes priorités de cette présidence et que les travaux du barreau, via l’Incubateur notamment, sont foisonnants !
Gaz. Pal. :
Sur quels sujets allez-vous interpeller les candidats à l’élection présidentielle française ?
J. Couturier :
Nous souhaitons qu’ils se prononcent sur leur vision de la justice et du service public qu’elle constitue, sur la réforme des retraites car nous savons que ce sujet risque de revenir, sur les questions de liberté, et sur leur vision des professions réglementées et de la régulation de la profession d’avocat.
Gaz. Pal. :
Une journée de mobilisation est prévue le 15 décembre 2021 à l’initiative des organisations syndicales de magistrats, d’avocats et de greffiers dans la foulée de la « tribune des 3 000 ». Le barreau de Paris a-t-il vocation à être présent ?
V. Nioré :
Oui. Il y a un sentiment très fort d’asphyxie par la gestion des flux et l’abattage des dossiers dans les tribunaux. Nous serons présents à la manifestation dans le souci d’une amélioration de la justice, dans l’intérêt des magistrats, des avocats, des greffiers et du personnel de justice.
Gaz. Pal. :
Les assises de la relation entre avocats et magistrats vont-elles se poursuivre sous votre mandat ?
J. Couturier :
Oui, il est important d’avoir un rendez-vous régulier entre les avocats et les magistrats. Cela permet de faire avancer les choses sur des sujets techniques par exemple. Nous avons d’excellentes relations avec les chefs de juridiction actuels, que ce soit avec le tribunal et la cour d’appel, le siège ou le parquet. Nous ne sommes pas dans la connivence, mais nous essayons d’avoir des relations de confiance pour nous parler et évoquer les problèmes quand il y en a. Je souhaite que ce dialogue se poursuive matière par matière, avec des référents du côté du barreau.
Gaz. Pal. :
Vous avez annoncé que vous alliez soutenir le souhait du président Hayat de recevoir des PPI à la cour d’appel. En quoi cela consiste-t-il ?
J. Couturier :
Les stages PPI en juridiction (que l’ordre a financés ces dernières années) ne sont pas une nouveauté. Jean-Michel Hayat, Antoine Kirry et Soraya Amrani-Mekki ont suggéré dans la Gazette du Palais d’en accroître le nombre, notamment à la cour d’appel, afin d’aider les magistrats à rédiger le rapport d’audience (Gaz. Pal. 7 sept. 2021, n° 425×1, p. 9). Cela permettrait aux avocats de se voir communiquer le rapport en amont, et donc de rendre l’audience plus utile. Cela permettrait aussi à une meilleure compréhension mutuelle. Nous attendons la réponse de la Chancellerie sur ce point.
Gaz. Pal. :
Un plan de rénovation du palais de justice de la cité est prévu à l’issue du procès des attentats de novembre 2015. Quel va être l’impact des travaux sur les services de l’ordre ?
J. Couturier :
Nous allons installer la plupart des services de l’ordre à la maison des avocats aux Batignolles ce qui nous permettra de nous inscrire dans la modernité. Pour autant, nous conserverons naturellement une présence au sein du palais de la Cité dès lors que nous sommes un barreau de cour, en attendant la restitution de nos locaux rénovés.
Propos recueillis par Laurence Garnerie